Actualités du Wiktionnaire
Wiktionnaire:Actualités est un journal mensuel sur le Wiktionnaire, les dictionnaires et les mots. Il est publié en ligne depuis avril 2015. Son écriture est ouverte à toutes les bonnes volontés. Vous pouvez recevoir un avis lors de la publication des prochains numéros, consulter les anciens numéros et participer au brouillon de la prochaine édition. Vous pouvez lire aussi les Regards sur l’actualité de la Wikimedia. Pour les commentaires, critiques ou suggestions, voir la page de discussion.
Il y a longtemps (je ne vous dis pas quand ;-), j’ai lu cette phrase : « Souris, tu m’inquiètes. » Elle m’a intrigué dès la première lecture et je l’ai mémorisée. Par la suite, je l’ai prononcée devant des amis et des collègues pour obtenir une réaction de leur part. Elle possède plusieurs sens, le premier étant le plus évident je crois :
De toutes les phrases que j’ai lues ou entendues, c’est la seule qui se prête à autant d’interprétations en si peu de mots. Voici quelques jours, alors que je me rendais à un rendez-vous, mon imagination m’a « soufflé » une phrase à trois mots qui peut être interprétée de trois façons, mais je l’ai oubliée entretemps.
Si vous en connaissez d’autres, pouvez-vous les révéler ? Si oui, écrivez-les dans la section Courrier du lectorat en bas de ce numéro.Quelques émissions audio ou vidéo sur la lexicographie, la linguistique et la langue française sorties ou découvertes ce mois-ci.
+ 20 402 entrées et 119 langues dont le nombre d’entrées a été modifié, pour atteindre 4 962 517 entrées et 1 375 langues avec au moins cinq entrées.
+ 2 293 entrées en français pour atteindre 414 970 lemmes et 651 716 définitions.
Les cinq langues qui ont le plus avancé, outre le français, sont l’italien (+ 8 883 entrées), le same du Nord (+ 3 874 entrées), l’allemand (+ 1 605 entrées), le portugais (+ 1 087 entrées) et l’occitan (+ 650 entrées).
Les nouvelles langues sont : l’oki-no-erabu (+169), le toku-no-shima (+97) et le pré-ancien japonais (+1).
+ 5 369 citations ou exemples en français pour atteindre 602 069 pour les entrées en français, et 304 011 pour les entrées d’autres langues (+11 357).
+ 415 médias d’illustrations (images et vidéos) dans les pages principales du Wiktionnaire, pour atteindre 75 230.
+ 1 088 sections de langue contenant au moins une prononciation audio (dont 11 pour le français) pour atteindre 497 726 sections de langue contenant au moins une prononciation audio pour 164 langues (dont 165 124 pour le français).
+ 3 nouveaux thésaurus ce mois-ci, le total est de 1 176 thésaurus dans 74 langues dont 858 thésaurus en langue française. Les nouveaux thésaurus sont pour le javelot et la sécheresse par Noé et le vote en anglais par une personne non inscrite.
+1 nouveau domaine sémantique en français ce mois-ci avec la La catégorie Lexique en français de la fiction japonaise
Wikiscan et Wikistats donnent chaque mois accès à beaucoup de mesures, dont la liste des pages les plus consultées et des pages modifiées par le plus de personnes.
+ 16 mots créés sur les 30 proposés dans les Mots du jour ! Merci à Bercours, Bpierreb, Exilexi et Pamputt.
Dans le numéro de septembre de Pour la science, la linguiste Anvita Abbi signe un article sur les langues de la famille linguistique grand andamanais, famille qui regroupe une dizaine de langues parlées aux Îles Andaman, dont la plupart sont éteintes.
Anvita Abbi a eu l’opportunité d’être en contact avec les derniers représentants de quelques-unes de ces langues. Elle en a déduit une grammaire unique au monde qui place le corps humain au cœur de celle-ci. Ainsi le mot « sang » peut se traduire de différentes façons : « ongtei » s’il provient des doigts, « otei » s’il provient des pieds ou des jambes, « etei » pour indiquer une hémorragie interne, etc. Ces différents mots se décomposent en une racine et un marqueur associé à une partie du corps. Le corps humain est ainsi décomposé en 7 parties : la bouche, les parties externes du corps, les extrémités, les protusions, les organes internes, les organes sexuels, les jambes.
Les mots de ces langues se classent parmi deux classes : les mots libres qui ont rapport avec la nature qui peuvent exister avec ou sans marqueur et les mots liés qui sont toujours associés à ces marqueurs. Ces marqueurs, en plus d’une signification concrète associée à une partie du corps, portent également une signification abstraite. Ainsi, les marqueurs e-/i- associés aux organes internes sont aussi utilisés pour le concept plus général d’« intérieur ». Le nom edusu (« petit intestin »), l’adjectif ekhir (« chaude »), le verbe ebiinye (« penser ») et l’adverbe ekotra (« à l’intérieur ») utilisent tous ce marqueur.
La linguiste s’appuie également sur les données génétiques des Grands Andamanais pour montrer que ce peuple vit isolé des autres peuples depuis des dizaines de milliers d’années, ce qui exclut une influence linguistique extérieure. Cette grammaire offrirait donc un aperçu de cette ancienne vision du monde dans laquelle « le macroscosme reflète le microcosme, et où tout ce qui est ou se passe est inextricablement lié à tout le reste ».
Depuis des années, des gens tentent de faire l’inventaire des langues en usage au sein de l’Humanité. C’est un chantier qui présente de nombreuses difficultés et, parfois, des langues sont établies sur la base d’une documentation partielle ou insuffisante. Il peut arriver dès lors que des langues soient documentées alors qu’elles n’existent pas, ne sont parlées par personne. C’est le cas notamment pour le rien, langue décrite comme parlée dans le Sud-Est asiatique, qui semble plus probablement être un dialecte du bru, langue mon-khmer. Ce serait peut-être lié à une confusion avec un toponyme d’après Nate Cheeseman, qui a sollicité une modification du référentiel ISO 639-3.
Un autre exemple est la langue des signes lyonnaise. Documentée dans un article en 1991, elle a depuis été supprimée du référentiel ISO 639-3 par proposition de J. Albert Bickford. Il considère que cette langue n’a jamais existé, et que sa première définition est due à une erreur de recensement.
Il arrive plus communément qu’un nom de langue soit associé à un nom de peuple/ethnie/groupe humain, au cas où ce groupe ait pu parler une autre langue que sa langue actuelle. C’était le cas par exemple pour le tapeba qui aurait pu être la langue des Tapeba, mais qui s’avère n’avoir jamais existé, entraînant la suppression de tbb. Le chamari aurait pu être la langue des Chamar, mais il s’agit d’une caste sociale en Inde qui serait une diaspora sans langue propre.
Comme toute somme de connaissances, la liste des langues présente quelques erreurs, qui sont corrigées au fil du temps par le réexamen des données collectées. La situation pourrait être pire, s’il y avait des canulars, des langues fausses créées pour berner les linguistes. À suivre dans le prochain numéro des Actualités !
Ces suggestions, affichées sur la page d’accueil, ont été proposées par Noé. Merci de leurs contributions aux personnes qui ont créé de nouvelles entrées : Bercours, Bpierreb, Exilexi, Henry Pidoux, Le Syntonyme, Noé et Pamputt !
Connaissez-vous les engins forestiers ? Abatteuse billonneuse, débusqueur à grue, débardeur à câble, araseuse d’accotements, élévateur de fagot.
La coupe du monde de rugby à XV commence cette semaine ǃ C’est l’occasion de pratiquer quelques plaquages positifs, cadrages débordements, petits par-dessus et autres arrêts de volée. Mais on évitera quoi qu’il arrive le jeu déloyal.
Encore mal définis dans le Wiktionnaire, intéressons-nous aux métiers du social : aide médico-psychologique, animateur socioculturel et animatrice socioculturelle, moniteur-éducateur et monitrice-éducatrice, surveillant de nuit, surveillante de nuit, etc.
En mer, il peut arriver divers événements de mer lorsqu’il y a fortune contraire. Quand il n’y a pas complet naufrage, c’est la période de la fin de la vie d’un bateau avec diverses options : transformation en blockship, conversion en batterie flottante, aller simple pour le cimetière de bateaux.
Connaissez-vous le métier d’art de l’émaillage sur lave ? Il est pratiqué par des émailleurs sur lave et des émailleuses sur lave, à partir de différentes roches volcaniques, telle que la pierre de Volvic pour produire de la lave émaillée.
Les Actualités du Wiktionnaire s’intéressent à la langue dans tous ses aspects. Pourquoi ne pas s’intéresser à la création lexicographique ? Avec le vocabulaire inventé par Jacques Lacan ?
Le psychanalyste français Jacques Lacan (1901-1981) laisse une œuvre conséquente, d’une grande puissance théorique. Sa pensée reste hermétique à certains, d’où sa réputation : complexe à loisir, si ce n’est abstruse.
Pourtant, la plume de Lacan est aussi vive que sa pensée est alerte. Et il inventait des mots. Homme d’une grande culture, doté d’un humour joyeux, il n’hésitait pas à déformer la langue pour en interpeller le sens, pour qu’elle vacille, qu’elle doute, qu’elle révèle ce qui n’était que midit : « il faut interroger l’équivoque, dont j’énonce que c’est là que se fondent toutes les formations, les formations de l’inconscient » (p. 67, article « orthog » — extrait d’une allocution prononcée le 25 mai 1977).
Au terme d’un travail de collecte très considérable, 789 néologismes ont donc été rassemblés dans un glossaire qui constitue la moitié de cet ouvrage. Chacun des ces néologismes est accompagné de sa référence, qui renvoie le plus souvent à des séances du séminaire de Lacan, où celui-ci indiquait très souvent comment écrire ces mots nouveaux, nés de manipulations verbales et de distorsions orthographiques : « C’est ici que je joue de l’équivoque, de l’équivoque qui de ce savoir impossible nous dit qu’il est censuré, défendu, il ne l’est pas si vous écrivez convenablement cet inter-dit, d’un trait d’union entre l’inter et le dit, c’est qu’il est dit entre les mots » (p. 49, article « inter-dit » — extrait du séminaire « Encore » du 15 mai 1973).
Les néologismes de Lacan bousculent la langue, la secouent, la revivifient ; leur lecture est un délice créatif. Et les linguistes trouveront dans cet ouvrage une belle collection de néologismes de forme, d’emprunt ou stylistiques.
Le glossaire est suivi de nombreuses listes, qui regroupent les 789 néologismes selon différents critères (homophonie, mots collés/décollés, liste doukipudonktan, etc.) ; saluons le sérieux des auteurs qui ont également publié la liste des mots refusés, et qui expliquent pourquoi ils l’ont été (on notera qu’il est relativement rare qu’un dictionnaire prenne soin de mentionner les mots qui ne se trouvent pas décrits dans ses pages).
Enfin, de nombreuses paroles de l’auteur ont été transcrites au bas de chacune des pages de ce livre. Elles permettent de retrouver son verbe et sa voix, et ne rendent ce livre que plus précieux.
En toute strictitude, les néologismes lacaniens relèvent de la savanterie (quoique les nombreux adversaires de la psychanalyse trouveront plutôt qu’ils relèvent de la stupidification). En termes de valabilité et de significantité, je les crois assez substantophores. Bref : staferla, ça a sa place dans un contradictionnaire !
Il est certain que les lacanalystes et les senti-maîtres apprécient cette poubellication : elle leur permet de s’autoritualiser. Et j’espère que les lecteurs des Actualités lui trouveront un intérêt, même s’il arrive que dans ce glossaire un mot se révèle franchement… affreud !
Bonjour à toutes et tous, ayant découvert il y a quelques jours un portrait flatteur à mon encontre de la part du Figaro sur l’histoire du mot « darmanin », j’ai beaucoup réfléchi de ce que cette publication pouvait être le signe… Et mon interprétation et que ce qu’il est en train de se passer va à l’encontre de ce que beaucoup de gens aurait voulu que ça se passe, et je ne n’ai pas envie de me situer dans tout ça. Bref, commençons par le début.
En juin de cette année, le 25 pour être précis, une personne crée le mot « darmanin ». Contributeurice de confiance, l’entrée est marquée comme relue car la personne a le statut d’utilisateur de confiance et elle passe inaperçue, situation rien que de très courante. La personne l’a rédigée de bonne foi, étayée de plusieurs attestations et puis passe à autre chose. Pas de pub, pas de partage, la routine habituelle, quoi…
En l’état l’entrée se trouve dans la zone grise de l’admissibilité, si j’en crois les votes des wiktionnaristes au tout début de ce bazar, certains aurait voté pour et d’autres contre. L’entrée faisant une moyenne très faible de vues, 2 par jour, elle en aura engrangée quelques centaines tout au plus, rien par rapport aux millions que nous faisons par mois sur l’ensemble du site. Rien d’incroyable pour une entrée d’un projet wiki en zone grise d’admissibilité.
Le 21 septembre, il se passe un truc courant sur les réseaux sociaux, quelqu’un repère l’entrée, en fait une capture, la partage et lui donne une notoriété. Une notoriété relative parce que bon, les usages n’ont pas non plus décollé et l’instantanéité des réseaux faisant, la bulle retombe vite. Dans les chiffres du 26, l’entrée qui a fait plus de 6 000 vues le 22, en fera moins de 800 le 26.
Or, entre temps, une machine s’est emballée, une machine qui tourne contre elle-même. Les wikipédistes étant plus nombreux, ils ont repéré l’entrée et s’en interrogent à juste titre. Un message est posté dans la Wikidémie et les wiktionnaristes étant moins nombreux, ils arrivent petit à petit.
Et voilà ce qui aurait dû se passer : constatant la problématique de l’entrée, les wiktionnaristes auraient pris le temps de cerner l’impact, les règles à changer — s’il fallait en changer —, et la ou les procédures à établir afin de faire ça convenablement vis-à-vis de la communauté et capitaliser sur tout ça pour le futur. Ça aurait pris deux-trois semaines, peut-être une de plus, mais au final tout le monde aurait été entendu et pris en compte. L’entrée ne serait très possiblement pas restée et on aurait gagné en précision de nos règles, etc.
Mais au lieu de ce scénario, au lieu de la confiance envers nos compétences du traitement lexicographique, nous avons droit à une autopeluredebananisation de tout un groupe de personne, qui sûrement voulait bien faire, mais qui auront surtout réussi à faire l’inverse de leur objectif…
Je reprends. Voulant accélérer les choses au nom d’une règle absente du Wiktionnaire, plusieurs personnes s’émeuvent sur Le Bistro de Wikipédia et veulent faire pression rapidement sur la communauté du Wiktionnaire. Malgré les explications données, le ressenti de la communauté de notre petit projet est globalement une condescendance associée à l’ignorance de notre fonctionnement. Ça s’emballe et voilà qu’une personne, peu éclairée à ce moment-là, décide de faire un geste qui, au lieu d’apaiser la crise afin que chacune et chacun soit entendu et écouté, polarisera le tout autour d’un vote, d’un vote pour ou contre, le niveau zéro du débat.
Ce forçage qui va cristalliser les deux communautés va avoir plusieurs effets délétères. D’abord, les wikipédistes contre la présence de l’entrée, voyant leur nombre, vont penser qu’ils auront la capacité de faire pencher le Wiktionnaire en leur faveur. Ils voteront massivement contre, en rameutant d’une manière à peine voilée, faisant beaucoup parler les ressentis. Cet espoir sera balayé rapidement par deux actions des wiktionnaristes, d’abord la volonté de conserver notre temps de réflexion vu la problématique en disqualifiant les votes des moins expérimentés et ensuite de la réactance face à une ingérence extérieure pas au courant du fonctionnement du projet.
Nous importons donc une règle de Wikipédia, comme nous le faisons de temps en temps, pour que tout cela s’apaise. Et une grosse majorité de contributeurices expérimenté·e·s votent pour la conservation à ce moment-là, n’ayant pas eu le temps de bien tout vérifier et surtout voulant montrer que le Wiktionnaire n’a pas à se soumettre à la volonté d’autres sous prétexte que nos règles ne sont pas comprises.
Et malgré tout ça, la tension retombe, les vues de la page en question s’effondrent rapidement et on peut espérer revenir à un temps réflexif plus propice à la pertinence. Il va falloir attendre la fin de la période de vote, soit deux semaines, mais des choses seront décidées pour l’avenir, très probablement. Elles auront juste pris vachement plus de temps…
Mais, alors que le calme était un peu revenu, un évènement extérieur viendra chambouler cette collision communautaire.
Le Figaro, journal politique très conservateur et peu avare de polémiques linguistiques inexistantes, sort un magnifique article pour montrer que lui aussi existe alors qu’on lui avait rien demandé. Et dans une rédaction mélangeant des compétences wikipédiennes surprenantes et une totale ignorance de l’implication de son geste, décide de crier à la face du monde qu’il ne faut pas utiliser le mot « darmanin » péjorativement comme le Wiktionnaire le dit.
Autant, du moment que le débat ne se déroulait que dans la sphère des wikis, on pouvait croire que l’usage n’allait pas vraiment exploser et que le débat se cristalliserait sur les matériaux fournis qui ne sont pas hyper nombreux au début du vote. Autant là, on ne peut que constater l’immédiateté d’un effet Streisand… Les commentaires et les usages sont assez nombreux sur les réseaux en réaction à l’article par pas mal d’opposants à la ligne du journal.
Mais cet article engage aussi des réflexions linguistiques, en dehors de la galaxie Wikimédia, entraînant également un ensemble de personnes désirant diffuser le mot pour enjoindre à l’utiliser encore en réaction de la description des chercheurs et des chercheuses. Ce nombre d’attestations est assez important sur ces quelques derniers jours.
Alors que faire ? Les attestations vont grandissantes, mais les chiffres sont très (trop ?) récents et donc difficiles à analyser. Quelques linguistes se sont penchés sur le phénomène mais n’ont pas encore formellement publié sur le mot. Les votes des wiktionnaristes sont très clivés et le résultat est désormais incertain. Mais, si le mot est décrit et décortiqué par le milieu scientifique, il aura très probablement une place dans le Wiktionnaire dans le futur.
Bref, cette histoire apportera des leçons aux wiktionnaristes, et aura eu des répercussions sur l’entente entre les projets. Seul l’avenir nous dira ce qui restera de tout cela. Mais je pense que le mot reviendra dans l’actualité, qu’importe ce qu’il est…