albugineuse
La lumière du jour était blanche, albugineuse, diluait la grisaille, c'était un ciel de neige qui ne neigeait pas, une saloperie, et alors, appelant ses forces et sa raison, elle se concentra sur le chemin à prendre, roulant droit vers l'est par la ville haute, suivant des artères aussi rectilignes que des sondes pénétrant l'espace à l'horizontale, enquilla la rue Félix-Faure, puis la rue du 329e, et la rue Salvador-Allende, des noms qui se succédaient sur le même axe à mesure que l'on gagnait les faubourgs du Havre, des noms tissés au roman municipal - villas cossues dominant le cloaque de la ville basse, vastes jardins parfaitement ventilés, institutions privées et berlines sombres, le tout évoluant en immeubles décatis, en petits pavillons augmentés de vérandas ou de jardinets, de courettes cimentées où stagnait l'eau de pluie, les mobylettes et les caisses de bières, et maintenant des véhicules utilitaires et des bagnoles customisées faufilaient ces trottoirs trop minces pour que deux personnes puissent y marcher de front ; elle longea le fort de Tourlaville, les entreprises de pompes funèbres, devant le cimetière, les marbres exposés derrière de hautes vitres, repéra une boulangerie éclairée à hauteur de Graville, une église ouverte - elle se signa.— (Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, éditions Verticales, 2014, page 51)